À Siliana, des Tunisiens à bout contestent les islamistes
Par Tarek Amara | Reuters – il y a 25 minutes
SILIANA,
Tunisie (Reuters) - La petite ville tunisienne de Siliana, théâtre
depuis mardi d'affrontements violents entre les forces de l'ordre et une
jeunesse au chômage, réclame la chute du gouvernement islamiste et se
demande ce que le "printemps arabe" lui a apporté.
Siliana sera-t-elle pour les islamistes modérés
d'Ennahda au pouvoir en Tunisie, ce que fut Sidi Bouzid pour l'ancien
président Ben Ali, le signe annonciateur de la fin ?
Il y a près de deux ans, le suicide d'un jeune marchand
ambulant à Sidi Bouzid à qui l'on avait confisqué son étal donnait le
coup d'envoi du "Printemps arabe" qui allait renverser Ben Ali puis
Hosni Moubarak Egypte, Mouammar Kadhafi en Libye et Ali Abdallah Saleh
au Yémen et mettre en difficulté les régimes syrien et bahreïni.
Deux ans plus tard, la Tunisie s'essaie timidement à la
démocratie mais est toujours en proie à la pauvreté, au chômage et aux
luttes intestines pour savoir quelle orientation donner à un Etat
autrefois farouchement laïque.
Depuis mardi à Siliana, localité de 25.000 habitants
située à 140 kilomètres au sud-ouest de Tunis, de jeunes hommes en
colère, la plupart sans emploi, descendent dans la rue pour exprimer
leur exaspération à l'encontre des islamistes modérés d'Ennahda, le
parti du Premier ministre Hamadi Jebali qui dirige le pays allié à deux
formations de gauche.
"Le peuple veut une autre révolution"; "Ennahda, dégage
! La partie est terminée", affirment les graffitis tracés sur les murs
de la ville, comme un écho aux slogans de la "Révolution de jasmin".
"VOUS AVEZ PRIS NOS YEUX"
Les affrontements de ces derniers jours ont fait plus
de 250 blessés, dont 17 personnes rendues aveugles par des tirs de
chevrotine, dit-on de source médicale.
Le correspondant de la chaîne de télévision France 24
et son chauffeur ont été touchés mercredi par des tirs de chevrotine
mais sont hors de danger. "Ça fait deux ans que je couvre des
manifestations en Tunisie et je n'ai jamais vu un usage de la force
aussi disproportionné. Il n'y avait aucune retenue", a expliqué David
Thomson sur le site de la chaîne d'information continue.
La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de
l'homme, Navi Pillay, a condamné vendredi que le gouvernement tunisien
pour recours excessif à la violence.
"Vous avez pris nos yeux, mais vous ne pouvez emporter notre voix", affirme une apostrophe en rouge sur un mur.
"J'ai perdu mon oeil à cause de la police, voilà ce
qu'a fait Ennahda. Ils nous ont attaqués sauvagement alors que nous
sommes sans emploi et marginalisés. La police d'Ennahda ne fait que
rajouter un problème", déclare Anis Omrani, 24 ans, un oeil recouvert
d'un pansement.
"Siliana sera le second Sidi Bouzid. Nous allons nous
débarrasser de ces islamistes qui ne connaissent rien à l'islam",
ajoute-t-il.
Les manifestations à Siliana ont commencé mardi à
l'appel du syndicat UGTT pour réclamer des emplois, des investissements
et le départ du gouverneur islamiste de la région.
Conscient du parallèle avec Sidi Bouzid, le
gouvernement a fini par mettre momentanément à l'écart le gouverneur de
Siliana samedi et promis des emplois aux victimes de la "révolution de
jasmin" de l'hiver 2010-2011.
Les manifestations de Siliana sont les plus violentes
depuis l'attaque de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis en septembre par
les salafistes à la suite de la diffusion sur internet du film
islamophobe "l'innocence des musulmans".
"COMME LE RÉGIME DE BEN ALI"
Vendredi, dans un discours à la télévision, le
président tunisien Moncef Marzouki a appelé le Premier ministre à
remanier le gouvernement pour tenir compte des manifestations. Sinon, a
estimé le chef de l'Etat, le pays risque de sombrer dans le "chaos".
Mais Hamadi Jebali a rejeté ces appels. Il accuse les
partis de gauche qui ont perdu les législatives de semer la discorde et
d'inciter les Tunisiens des régions pauvres de l'intérieur à se tirer
une balle dans le pied en organisant des troubles de nature à dissuader
les investisseurs étrangers.
Les opposants de gauche à Ennahda sont clairement
présents à Siliana. Ils accusent le gouvernement de n'avoir pas vraiment
cherché à réformer les forces de l'ordre qui étaient des piliers du
régime autoritaire du président Ben Ali.
"Le gouvernement se conduit comme le régime de Ben
Ali", estime Iyad Dhamani du Parti républicain. "C'est un gouvernement
arrogant qui pense que sa victoire aux élections lui permet d'utiliser
les gaz lacrymogènes et la chevrotine sur les gens au lieu de leur
donner des emplois et des investissements."
Samedi, une manifestation a rassemblé 3.000 personnes.
Les manifestants ont jeté des pierres sur les forces de l'ordre qui ont
fait usage de gaz lacrymogènes et procédé à des tirs de sommation de
leurs véhicules blindés. Les voies autour de la ville étaient bloquées
par des pavés et des débris brûlés.
"Siliana, tu seras le cimetière du parti Ennahda", scandaient les manifestants.
Une des manifestantes, qui n'a pas voulu donner son identité, a confié qu'à l'origine, elle avait soutenu Ennahda.
"Voilà à quoi ressemble le paradis promis par Ennahda,
que nous avons élu. C'est ça qu'Ennahda a à nous offrir", déclare-t-elle
en se saisissant d'une bombe vide de gaz lacrymogène. "Nous ne ferons
pas cette erreur à nouveau."
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